Les leçons de Katherine : 4 – la socialisation

la socialisation

Maintenant que vous avez commencé l’aventure d’école-maison, vous avez peut-être déjà constaté que la socialisation est le plus gros mythe de l’école-maison. Autrement dit, il s’agit de la question la plus fréquemment posée si on exclut les démarches en général. « Comment mon enfant va-t-il socialiser? », « Son père ne veut pas entendre parler de l’école-maison à cause de la socialisation. » n’en sont que de brefs exemples.

Alors je m’adresse à vous, qui perpétuez le mythe. Les autres, vous pouvez me lire pour me faire plaisir, mais les récalcitrants de la socialisation, c’est à vous que je m’adresse particulièrement.

C’est quoi la socialisation, selon vous? Selon eux? Selon la société?

Comment l’école remplit-elle mieux cette fonction que l’école-maison?

Est-ce que c’est fréquenter d’autres enfants tous les jours?

Est-ce que c’est avoir de vrais amis?

Est-ce que c’est voir du monde?

Sans parler en mal de l’école (parce que ce n’est pas parce que nous faisons l’école-maison que la majorité d’entre nous sommes anti-école), est-ce que le fait de se retrouver à 25 enfants dans une classe, assis silencieusement à écouter un adulte en autorité représente ce que vous pensez de la socialisation? Avec deux récréations de 15 minutes où ils doivent aller aux toilettes, s’habiller, jouer dehors, se déshabiller puis retourner en classe…

Bon, vous me direz que l’école, c’est de moins en moins ça. Que les élèves sont regroupés en îlot de quatre bureaux, qu’ils travaillent en équipe, qu’il y a le flexible seating et qu’ils peuvent plus échanger que dans mon « ancien temps ».

Mais à ce moment-là, que savez-vous de l’école-maison qui ne se passe pas comme ça?

Mes enfants font des travaux d’équipe plusieurs fois par année, ils ont le flexible seating (leur lit, le divan, la maison dans l’arbre, la table de la cuisine, le plancher de la salle de jeux ou la balançoire extérieure). Ils échangent tous les jours pendant le dîner, et avec leurs amis de tous âges, horizons et niveaux scolaires, de façon très fréquente.

Bon, ce n’est pas convaincant?

Mon horaire est plus occupé que celui d’un ministre! Je vous en parle un peu…

Activité avec groupe de soutien en ECR

Les enfants discutent des raisons de faire la guerre. La lecture d’un album jeunesse ouvre le bal. Ils ont entre 8 et 15 ans. Ils ont des perceptions tellement différentes, s’écoutent, se corrigent, argumentent… et grandissent!

Sortie au musée

Lors d’une sortie au musée Pointe-à-Callière, ma fille se fraie un chemin jusqu’à son amie qu’elle n’a pas vue depuis deux semaines. Elles se prennent bras-dessus, bras-dessous et partent discuter des artéfacts grecs dans une vitrine. Le groupe est multi âge. On retrouve le groupe principal de 6-15 ans et tous les petits frères et sœurs qui gravitent autour, parfois dans les bras des grands, parfois dans le porte-bébé. Les guides sont émerveillés. Les jeunes sont calmes et à l’écoute, ils sont curieux et posent plusieurs questions pertinentes. Le respect est présent, l’intérêt aussi.

Expo-projets

À l’expo-projets de l’an dernier, les jeunes présentateurs ont entre 6 et 15 ans. Parfois en équipe de deux, parfois seuls, ils ont travaillé pendant plusieurs mois à monter une présentation de leur passion du moment et la partagent avec une foule d’une centaine de personnes venues les écouter. Toute la soirée, les jeunes expliquent à ces gens de tous horizons comment ils s’y sont pris pour monter leur présentation et pourquoi ils sont passionnés de ce sujet. Ils finissent la soirée par un film/popcorn et les adultes se prennent une bonne bière en jasant.

Marché de Noël

Au marché de Noël, les enfants vendent des choses qu’ils ont fabriquées eux-mêmes, véritables fondateurs de mini-entreprises tenues à bout de bras qui impressionnent les adultes venus acheter des surprises pour les bas de leurs petits-enfants. Des talents s’étalent, l’entrepreneurhip se développe et la négociation se fait serrée.

Partage d’experts

Le papa d’une amie est chimiste. Il apporte des boîtes d’atomes modulaires, et il parle, démontre, explique, bref, passionne les enfants qui écoutent et boivent ses paroles. Les petits de 6 ans forment des molécules imaginaires pendant que les grands de 13 ans tentent de reproduire des molécules connues. Deux semaines plus tard, c’est la maman d’un autre ami, ergothérapeute dans son ancienne vie d’avant l’école-maison, qui vient partager sa passion. Elle explique la santé du dos avec schémas, exercices et conseils à l’appui.

Club d’écriture

Une semaine sur deux, les enfants du club d’écriture se voient pour écrire, se raconter des histoires et créer des affiches. Ils tiendront un salon du livre au bout du projet. Ils ont entre 6 et 14 ans. Leurs histoires, toutes différentes et très divertissantes, sont écrites selon la capacité de chacun. Les enfants sont tous fiers de les raconter.

Échanges sur des critiques d’ouvrages

Des ados, évachés sur des bean bags, discutent du roman lu pendant le mois. Ils sont 15, du secondaire 1 au secondaire 5. Ils s’expriment sur des sujets profonds ou légers. Ils dérogent du roman quelques minutes pour lancer une joke, se tirer la pipe, puis reviennent au personnage principal : pourquoi est-il parti? Souffrait-il? Voulait-il se venger? Ils ont chacun leur opinion et parlent tous avec respect. Parfois, les mots se bousculent, et ils repartent à rire. 

Pendant ce temps, à deux pas de là, des petits de 4 à 8 ans dessinent, écoutent des histoires et apprennent à dire s’ils les ont aimées ou pas. Ils apprennent à écouter l’avis des autres. Ils sont 8 autour d’une petite table.

Enfin, pas loin d’eux, des enfants âgés entre 8 et 11 ans discutent eux aussi d’un roman lu et font des activités autour du thème du roman comme des jeux et des défis. Ils sont stimulés et participent avec intérêt. Ils se regroupent ainsi une fois par mois dans une bibliothèque municipale (en communauté donc).

Un repos apprécié

Et je pourrais continuer ainsi longtemps, parfois trop longtemps. Car parfois, tout cela est juste trop! On est fatigués de sortir et de voir du monde… On a besoin de calme, d’une routine et de retrouver notre cocon familial. On prend une pause de trois semaines où on reste à la maison, emmitouflés sous la couverture ou profitant de la neige nouvellement tombée pour jouer dehors, dépassant largement le temps d’une simple récréation.

Ça aussi, ça fait partie de la socialisation. Savoir prendre du temps pour soi, pour se tourner vers son intérieur et savourer la vie qui coule. Qui a besoin de toujours être avec un groupe de 25 enfants? Vous me direz : « C’est ça la vie! »

Mais est-ce vraiment ça? Alors pourquoi prenez-vous deux semaines de vacances par année pour quitter votre travail et vos collègues, et vous évader avec votre petite famille? Entre le camp de jour et l’année scolaire, les enfants qui fréquentent l’école soufflent-ils?

Bon, bon, bon, je ne suis pas contre l’école, je vous l’ai déjà dit. Mais ce n’est pas parce qu’il y a du bon à l’école qu’il n’y en a pas dans l’école-maison.

Vous aurez compris qu’il y a de multiples occasions de voir des amis et de sortir de la maison, et que les enfants d’école-maison ne restent pas enfermés entre quatre murs toute la journée. Mais il y a plus…

La socialisation, une définition plus large

La socialisation, c’est aussi visiter sa grand-maman au CHSLD, car elle est en phase 4 d’un cancer. Aujourd’hui, c’est une bonne journée, elle est lucide et n’a pas trop de douleurs. C’est LÀ qu’il faut y aller. Pas demain samedi, car il sera peut-être trop tard. Et quand c’est trop tard, on prend le temps de vivre le deuil en famille, on n’a pas besoin de retourner au travail tout de suite. Un papa a cinq jours pour la mort d’un parent alors que l’ enfant retourne à l’école dès le lendemain. Un papa ira au salon, fera les arrangements et répondra à plein de questions pratiques. Il pourra tranquillement accepter, alors que si l’enfant a un examen dans les jours qui suivent, pas question qu’il le manque. Il se reposera le lendemain après ses devoirs…

La socialisation, ce n’est pas avoir les cheveux de sa meilleure amie au bureau devant sa face sans pouvoir échanger toute la journée, sauf à deux petites pauses de 15 minutes où on en passe 4 aux toilettes. La socialisation, c’est apprendre à trouver sa place dans la société et à se comporter adéquatement avec des gens de tous âges (amis, collègues, famille, personnes âgées, etc.) et en toutes circonstances (lors d’un spectacle, à la bibliothèque, dans les transports en commun, à l’épicerie, etc.).

En ce sens, l’école-maison est un haut lieu de socialisation. Est-ce que mon enfant manque quelque chose de l’école en étant à la maison? Oui, bien sûr, il manque plein de choses super intéressantes. Est-ce que mon enfant manque quelque chose en étant toujours à l’école? C’est évident aussi. Dans 20 ans, sera-t-il mieux adapté, plus heureux que l’autre? Peut-être. Mais ce ne sera pas dû à « l’enfermement hors société » de l’école-maison. Ce ne sera pas la faute de la socialisation.

Et si vous n’êtes toujours pas convaincu, il est temps qu’on se prenne un verre de vin et qu’on continue cette discussion. Je suis malheureusement très sociable, je parle beaucoup, mais j’écoute autant. Je m’intéresse à vous, à elle et à lui. Je suis allée à l’école. Voici ma fille : elle est malheureusement très sociable, parle beaucoup, écoute autant et s’intéresse à vous, à elle et à lui. Elle fait l’école à la maison depuis bientôt… 12 ans.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteurs et ne sauraient refléter la position de l’AQED.

Traduit par Vincent Chandler